18 mars 2016

(3) Les mystères de l'amulette

Luisa Gallerini
De taille moyenne, mince, les yeux en amande, les cheveux bruns et ébouriffés, Philippe ne présentait aucune caractéristique notable si ce n’était son sourire, à la fois rassurant et chaleureux, qui creusait deux tendres fossettes dans ses joues poupines.
On lui aurait donné le bon Dieu sans confession quand il souriait ainsi.
Lorsqu’elle lui présenta l’amulette, il ne fut nullement surpris. Il ne s’enquit pas des circonstances qui avaient mené l’objet en sa possession, ni des raisons de l’intérêt flagrant qu’il suscitait chez elle. Il gratta légèrement les pieds de l’oiseau avec l’ongle de son pouce, ce qui eut le don d’agacer Marie, puis se contenta de l’examiner longuement et de le soupeser. Quand il le reposa dans la main tendue de la jeune femme, leurs chocolats chauds, à l’appétissant fumet de cacao, étaient déjà tièdes.

- C’est une amulette funéraire, dit-il. Elle a la forme d’un oiseau, que l’on appelle jabiru.
- Je sais, oui, répondit Marie avec une pointe de déception dans la voix.
- Elle représente aussi le , poursuivit-il. Le bâ est un peu, si vous voulez, l’équivalent de l’âme. Mais peut-être le savez-vous déjà aussi. 
- En effet, oui, mais ce que j’ignore, c’est de quand date cette pièce.
- Vous ne le savez pas ? demanda-t-il, surpris, en levant le sourcil gauche.
Il scruta les yeux de Marie mais n’y décela que de la curiosité, mêlée à un zeste d’impatience. A le voir la regarder ainsi, elle craignit qu’il ne s’apprêtât à l’humilier par quelque révélation évidente pour le commun des mortels.

- Je ne peux pas affirmer avec précision en quelle année a été réalisée cette amulette, dit-il. Il me faudrait l’emmener dans le laboratoire du musée pour effectuer quelques tests. Mais je peux vous certifier, sans l’ombre d’un doute, qu’elle date approximativement du 19ème siècle, au plus tard, du début du 20ème siècle.
Marie resta bouche bée.
- Du 19ème siècle ? articula-t-elle avec peine.
- Oui, aussi étrange cela puisse-t-il paraître. C’est par ailleurs la première amulette d’une telle facture que j’ai eu l’occasion de voir à ce jour. Elle est tout à fait remarquable. Elle a été fabriquée selon les mêmes procédés qu’une antiquité égyptienne, elle semble avoir vieilli sous terre comme ses authentiques consœurs, mais en y regardant de près, l’encre utilisée n’est pas d’époque. Enfin, les amulettes d'oiseau bâ sont presque toujours représentées comme des faucons à tête humaine , pas avec une tête de volatile, comme celle-ci.
- En êtes-vous sûr ?
- Vous pensiez que c’était une antiquité ?
- Pourquoi pas ? 
- Regardez le pied gauche de l’oiseau, le long de la patte que j’ai grattée. Que lisez-vous ?
- Des chiffres romains, il me semble. M puis DCCC et LXV. Voyons…1865 ?
- Et cette séquence ne vous évoque rien ?
- Mais que signifie… Pourquoi inscrire une date sur un fac-similé ?
- Parce que cette amulette n’est pas une reproduction, justement. Si vous m’expliquiez dans quelles circonstances vous l’avez acquise, je pourrais peut-être vous aider à comprendre son histoire.

Marie but une gorgée de chocolat, s’allouant quelques secondes de réflexion avant d’accéder à sa demande.
- Je l’ai trouvée sur la place de la Bastille, dans un tas de gravats. Vous savez, la place est en travaux en ce moment, et en rentrant de l’Opéra, par hasard, je l’ai découverte.
- Sur la place de la Bastille ? s’exclama-t-il, tandis que ses sourcils s’arquaient de concert. Attendez voir, si l’amulette se trouvait sous les pavés de la Bastille, cela signifie que quelqu’un l’y a enterrée alors que la place était en travaux, comme aujourd'hui. Comme l’objet date d’un siècle environ, il a pu être enfoui à n’importe quel moment au cours des cents dernières années. Savez-vous si l’on a mené des travaux, place de la Bastille, après 1865 ?
- Il y a eu la construction de la colonne de juillet, au 19ème siècle, mais c’était avant 1865. Et l’opéra Bastille est bien trop récent, il date des années 1980.

La présence de l’amulette, sous la célèbre place parisienne, semblait à Marie plus incompréhensible que jamais. Perplexe, elle jouait avec la cuillère à café, en équilibre sur le bord de la tasse, quand Philippe s’écria : 
- Je crois avoir la réponse ! N’y avait-il pas une gare sur la place de la Bastille, il y quelques années ? Ma mère m’en avait parlé quand j’étais enfant, elle prenait parfois le train pour se rendre à Marles-en-brie . Si mes souvenirs sont corrects, elle partait de la place de la Bastille. Cette gare n’existe plus aujourd’hui, mais quand a-t-elle été construite ? et détruite ?
- Je n’ai jamais entendu parler d'une gare, à la Bastille, mais si vous le dites… Néanmoins, je me demande bien comment l’amulette a pu atterrir à un tel endroit.
- J’y pense ! vous n’avez trouvé que cet objet sur le chantier ? 
La cuillère tomba par terre sans que Marie n’esquisse le moindre geste pour la rattraper. Elle réalisa à cet instant précis combien l’amulette occupait ses pensées.
-  Non, bien sûr que non ! Mais j’avais totalement oublié de vous en parler, tant l’amulette me fascine, confessa-t-elle, livide.
-  Et bien ? alors ? qu’avez-vous trouvé d’autre ?

A suivre...

Dans le prochain épisode, vous verrez que ramener un inconnu chez soi, le premier soir, n'est pas toujours une mauvaise idée...

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