3 mars 2016

(1) Les richesses du Louvre

Luisa Gallerini
Le revers de la médaille

Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l'homme, ce n'est pas la mort, mais la crainte de la mort?
(Epictète)

Le Grand Sphinx de Tanis au LouvreLe samedi suivant sa découverte, elle se rendit au Louvre, espérant y trouver des statuettes semblables à la sienne. Sur la place du Palais-Royal , comme à chaque fois qu’elle surprenait le musée au détour d’une rue ou d’un balcon, elle s’arrêta quelques secondes, subjuguée par la pyramide de verre qui s’élançait dans le ciel , à l'image de sa sœur cadette, tête-bêche, qui s'enfonçait dans la terre à quelques mètres.

Alors qu’elle grimaçait affreusement, luttant contre le soleil, elle perçut le déclic sournois d’un appareil photo. Elle ne comptait plus les clichés de Paris où une partie de son anatomie, malheureusement rarement la plus flatteuse, s’était affichée sans complexe. Tantôt mastiquant un chewing-gum, bouche grande ouverte, sur la plaque du kilomètre zéro devant Notre-Dame , tantôt rompant l’alignement sacré de l’Arc de Triomphe à la Grande Arche, les fesses en l’air pour nouer un lacet, elle avait gagné ses galons dans l’art des poses grotesques. Son pire souvenir restait sans conteste le soir où elle s’était illustrée avec majesté sur le pont des Arts, pleurant à chaudes larmes devant un superbe coucher de soleil, les yeux asticotés par la poussière du jardin des Tuileries. Ce soir-là, les amoureux s’y étaient donné rendez-vous et les flashes n’avaient cessé de crépiter, gravant sa détresse derrière une multitude de visages radieux.
    
Dans la galerie du Carrousel , elle se dirigea vers la rotonde, contournant la pyramide inversée qui étincelait comme un gros diamant, et prit place dans l’une des files d’attente. Un ticket à l’effigie d’une jeune princesse croquée par Pisanello en main , elle s’engouffra dans le Hall Sully . Sur une passerelle en bois, elle traversa religieusement la salle des fossés du château pour atteindre la crypte du sphinx , l’une des entrées du département des antiquités égyptiennes.


Émue, elle contemplait avec déférence la majestueuse statue , s’extasiant devant les puissantes pattes en granit rose  et l'expression de son regard , lorsqu’une classe entière envahit la crypte, la chassant aussi sûrement que s’il se fût agit d’un troupeau d’éléphants .

Dans la salle dédiée au Nil, un bateau miniature gouverné par un homme dressé à la poupe la ramena de nombreuses années en arrière. Quand elle était enfant, son père l’emmenait souvent, le dimanche après-midi, dans les jardins du Luxembourg . Aussitôt les grilles franchies, elle se mettait en quête d’un bâton, ni trop long ni trop court, puis elle attendait près du bassin . Pendant que la plupart des enfants pleuraient pour un tour de manège , dès qu’un l'un d'eux abandonnait son voilier pour chasser les pigeons en brandissant sa canne, elle prenait possession de son embarcation. En quelques coups de bâton, riant sous cape, elle semait alors la zizanie, n’épargnant ni les canetons ni les luxueux modèles privés, contraignant son père à faire face au courroux des marins en herbe, par chance trop petits pour être dangereux.

Dans la salle adjacente, elle s’attarda devant une vitrine consacrée aux amulettes , rassemblant de jolies statuettes de singes et de faucons, qui lui rappelèrent l’oiseau de pierre. Alors qu’elle s’éloignait, elle remarqua qu’un homme l’observait à la dérobée. Persuadée d’être une fois de plus victime des assiduités de quelque épave, elle le dévisagea froidement avant de quitter la salle. Lorsqu’elle arriva devant le riche mobilier provenant d’un cimetière, elle ne fut pas loin de regretter la classe à qui elle avait faussé compagnie. Noyée dans la masse tapageuse, elle aurait pu s’émerveiller en toute impunité devant les fauteuils, tapis et autres coffres. A contrecœur, elle s’éloigna de la vitrine quand elle comprit que les empreintes nasales qui maculaient le verre étaient les siennes. C’est alors qu’elle aperçut, nichés dans une vitrine sombre et poussiéreuse , des oiseaux comme le sien, à la différence près leur tête était humaine . Il y en avait en or, en basalte, en faïence ou encore en turquoise. Le cœur battant, elle observa minutieusement chaque pièce, traquant le moindre détail pouvant l’aider à déterminer l’origine de son amulette. Heureusement, les visiteurs ne se battaient pas pour accéder à cette collection ; il était d’ailleurs extrêmement rare que quelqu’un stationnât devant plus d’une minute.

Percevant soudain une présence derrière elle, elle fit volte-face. Les bras croisés, l’homme qu’elle venait de fuir, manifestement intrigué par son comportement, se tenait debout à quelques pas. Contemplant les statuettes depuis près d’un quart d’heure, elle n’avait pas vu le temps passer. L’inconnu, contre toute attente, lui tendit la main :
- Bonjour ! dit-il en souriant. Laissez-moi me présenter : je m’appelle Philippe Roussel. Dans le cadre des cours que je donne à l'École du Louvre, j’assure des permanences au musée pour répondre aux questions des visiteurs.
- Ah oui ? répondit-elle sans lui serrer la main, c’est très intéressant tout ça, mais qu’est-ce qui vous fait penser que j’ai des questions à vous poser ?
- Je ne veux pas vous importuner, continua-t-il sans se troubler, mais il m’a semblé que vous aviez besoin d’aide, ou de conseils. Voyez-vous, personne ne s’arrête comme vous, aussi longtemps, devant des vitrines d’amulettes. Alors j’en ai déduit que peut-être, vous souhaitiez avoir quelques renseignements sur le sujet.
- Ne pensez pas à ma place, répliqua-t-elle d’une voix sèche. Vous savez, si je n’aime pas être dérangée, j’aime encore moins être suivie. Vous auriez pu au moins faire ça discrètement.

Philippe réussira-t-il à amadouer Marie la tigresse ? Réponse dans le prochain épisode !

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