26 octobre 2015

(1) Le chantier de la Bastille

Luisa Gallerini

La prise de la Bastille



Ce qui est hasard à l'égard des hommes est dessein à l'égard de Dieu

(Bossuet, La Politique tirée des propres paroles de l'Écriture sainte)


Les journaux avaient annoncé la réhabilitation de la place de la Bastille , mais la réalité dépassait de loin ce qu’avait imaginé Marie.

Le carrefour n’était qu’un vaste chantier et la pluie, qui ruisselait dans la panse des caniveaux, giclait sur les trottoirs disloqués. Aucune voiture ne circulait plus et les rares promeneurs s’éteignaient aussi vite qu’ils surgissaient. La clameur de Paris, sourde, froissait les arbres et barbotait dans la Seine. Marie ne savait pas encore, alors qu’elle grommelait sous l’averse, ce qui l’attendait ce soir-là. Toute à la joie d’assister au Couronnement de Poppée, elle marchait d’un pas rapide. Quand une lueur rouge entra furtivement dans son champ de vision, elle n’y prêta aucune attention. Ce fut l’énorme bétonneuse, qui stationnait tous feux éteints à l’entrée de l’Opéra Bastille, la pelle enterrée dans l’épaisse brume, qui la tira de ses méditations.

La salle était presque vide et le poulailler, entièrement vacant. Quelques habitués avaient pris racine au parterre, d’autres amateurs garnissaient la corbeille et fleurissaient les balcons. Lorsque Marie s’assit, elle sentit le regard de son voisin glisser sur elle aussi sûrement que s’il l’eût caressée. Si elle était habituée à susciter ce genre de réaction, elle n’appréciait que moyennement qu’on la dévisageât d’aussi près, et que l’on s’appesantît sur une autre partie de son anatomie que son visage qu’illuminaient pourtant de grands yeux noirs d’un charme indéniable. Mais son corps, bien que gracieux, n’avait de remarquable que son opulente poitrine, et celle-ci ne lui attirait que des ennuis, qu’ils prissent la forme de vieux pervers régressifs, de nouveaux nés voraces, d’envieuses psychotiques ou de fétichistes monomaniaques. Par habitude plus que par colère, elle opta pour le coup du sac à main. Sous couvert de la plus parfaite innocence, elle imprima à celui-ci un mouvement giratoire qui l’envoya directement au visage du malotru. Cela suffisait, ordinairement, à calmer les ardeurs les plus vives. Quand son voisin jappa misérablement, elle s’excusa à peine tant le plaisir indicible que l’exécution de cet acte barbare lui avait procuré l’occupait toute entière. Si elle eut honte, ce ne fut que de ce ravissement illicite. Quant à l’acte lui-même, elle ne le regretta que le temps de s’assurer qu’aucune trace apparente de son méfait ne pût l’accuser. La soirée s’annonçait sous les meilleurs auspices.

A suivre...

Dans le prochain épisode, vous apprendrez que Néron était une femme (mais oui !).

1 commentaires:

Eva Cordel a dit…

Excellent début, qui donne l'eau à la bouche ! Vivement jeudi...

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